© Philippe Frisée

1923 – 2025

Senat & Luxembourg,
une histoire de chaises

Elle incarne à elle seule une part du patrimoine culturel hexagonal. Romantique mais utile, confidentielle mais mondialement connue, la chaise trônant au coeur du jardin du Luxembourg est devenue au fil du temps une véritable icône du style français. Une icône pleine de charmes et de mystères, qui bouscule toutes les frontières depuis sa création par les Ateliers de la Ville de Paris en 1923. Été comme hiver, ce doux objet aux allures de poème s’affirme depuis bientôt un siècle comme un élément de paysage, un personnage en quête d’auteur. A l’origine nommée SENAT, la célèbre chaise du « Luco » pousse désormais les grilles du jardin éponyme de Paris et conquiert le monde depuis sa célèbre réinvention

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À L’origine du mythe

« C’était comme un jardin oublié de l’autre siècle, un jardin joli comme un doux sourire de vieille. Des haies touffues séparaient les allées étroites et régulières, allées calmes entre deux murs de feuillages taillés avec méthode… De place en place on rencontrait des parterres de fleurs, des plates-bandes de petits arbres rangés comme des collégiens en promenade, des sociétés de rosiers magnifiques et des régiments d’arbres à fruits ».

Guy De Maupassant

À l’instar de cette citation de Guy de Maupassant, les jardins parisiens font autant parti de l’imaginaire collectif que le mot typiquement français flâner. On y cause, on y refait le monde, mais avant tout on y flâne et on s’y repose. Dès le XVIIIème siècle, pour combler l’enthousiasme bucolique des marcheurs parisiens, l’idée de remplacer les bancs par des chaises plus confortables fait doucement son chemin. Mises en location par des entreprises privées, ce nouvel acteur mobilier commence à investir le paysage parisien. En place et lieu du Luxembourg, le Sénat rencontre néanmoins quelques récalcitrants, peu amènes à payer de leur poche une pause au jardin. Outre un prix de location revu à la baisse et la fixation d’un loyer annuel, l’institution de la République Française décide dès 1843 une mise à disposition de 1500 chaises pour un public séduit et comblé. Au cours de la période trouble précédant la 3ème république, le retour du Sénat à Paris scelle une nouvelle ère de contrats de location. À partir de 1872, la concession de ce même mobilier de jardin se voit concédée « à la bougies », lors d’enchères publiques.

Nées « à façon » au cours des années 1920, les chaises SENAT voient ensuite le jour et descendent au jardin. Fraîchement peintes en vert, elles investissent tel le lierre les allées et les bords des bassins. Déplacées du soleil à l’ombre, au gré des jours et des saisons, elles deviennent progressivement icônes du mobilier de jardin parisien.

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À l’heure de la reprise en main

ll faudra pour autant attendre 1990 pour que le Sénat, alerté des multiples préjudices dont sont victimes ses chaises, décide de lancer un appel d’offres. Lauréat de l’initiative, la société française Fermob devient ainsi le fournisseur officiel des chaises SENAT qui équipent le le Jardin du Luxembourg, des Tuileries et du Palais Royal. Du jour au lendemain, environ 2000 chaises et fauteuils viennent peupler les poumons verts de la capitale et témoignent de l’état d’esprit de Bernard Reybier, président de Fermob : «Nous les refaisons à Thoissey, comme des répliques exactes en acier, avec leur couleur verte RAL 6013 et leurs accoudoirs en bois. Et ce, depuis les forges de la serrurerie générale que j’ai moi-même racheté en 1989, et qui est pour la petite histoire, l’un des fabricants historiques du modèle”.

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État de siège

Même si aucun dessin technique n’a pu être retrouvé au sein des archives nationales, la Chaise SENAT demeure pourtant le parfait exemple d’un travail artisanal français. Née au coup par coup dès 1923 depuis le chaos organisé des forges des jardins de Paris, il faudra pour autant attendre 2002 et quatre-vingts ans de bons et loyaux services avant que le designer Frédéric Sofia ne s’attelle à sa réinvention.

Frédéric Sofia est intarissable dès qu’il s’agit d’évoquer son premier bébé conçu pour Fermob : « Lorsque Bernard Reybier m’a sollicité en 2001 pour créer une gamme d’accessoires inspirée de la chaise SÉNAT, j’ai parcouru le jardin du Luxembourg en long, en large et en travers. J’ai alors photographié tous les modèles, pris toutes les cotes et croqué sur papier tous les sièges du jardin : la chaise, le bridge, le fauteuil bas. Au delà du plaisir, ce fut surtout l’occasion de découvrir leurs secrets de fabrication. Des premiers modèles très étroits avec leurs drôles de pieds en boule d’acier aux accoudoirs des fauteuils massifs comme des bûches de bois, certains étaient plus hauts, d’autres au contraire plus larges et leurs lattes étaient de dimensions variables en fonction des séries de fabrication. J’ai ainsi pu déceler les erreurs de conception et les manques en matière d’ergonomie. Un an de réflexion plus tard, l’idée de reconsidérer entièrement les chaises et de créer une collection destinée aux jardins de particuliers s’est ainsi imposée ». Vint alors l’évidence, celle d’un besoin essentiel de confort. En se concentrant sur de nouveaux accoudoirs et de nouvelles sections courbes pour les lames, Frédéric Sofia réinvente la célèbre Chaise SÉNAT. Une chaise revue de fond en comble, plus accueillante, plus généreuse qui ne scie ni les cuisses, ni les bras. Interface entre l’assise et la jupe du siège, cette nouvelle pièce s’impose dès lors comme une authentique invitation à s’asseoir. De cette intime conviction est alors née la signature originale de toute une gamme de mobilier contemporain. Une gamme, qui à travers le changement de statut d’une chaise de jardin rustique vers une chaise design, a naturellement incité Bernard Reybier et Frédéric Sofia à rebaptiser l’étendard du nom de chaises LUXEMBOURG.